Alessandra Del Favero et Oliver Piras, au palace comme à la maison – Le Monde


Cette année, la seule nouvelle première étoile Michelin accordée à une femme a été décernée à… un couple : Alessandra Del Favero et Oliver Piras. Un couple à la ville et aux fourneaux, attachant, affable, de ceux que l’on aimerait rencontrer au détour d’une petite route des Alpes italiennes pour partager un (bon) limoncello.
Pour l’heure, c’est au Royal Monceau, un des palaces proches des Champs-Elysées, que l’on doit se rendre pour une virée transalpine avec le duo de trentenaires. Mais, chez eux, la morgue qui sévit dans les hôtels de luxe s’estompe rapidement. Avant même d’entrer dans la salle de leur restaurant, Il Carpaccio, Alessandra lance chaleureusement « Buona sera ! » derrière le comptoir de la cuisine ouverte, aussitôt suivie en écho par son compagnon.
« C’est extrêmement important que mes clients se sentent ici chez eux, en famille » confie Alessandra Del Favero
« J’ai grandi dans l’hôtel de montagne tenu par mes parents à San Vito di Cadore, dans les Dolomites, raconte en français la cheffe. J’étais constamment en cuisine avec mon père… Un de mes premiers souvenirs, c’est de l’aider, quand j’avais 6 ans, à nettoyer les pommes de terre. Il défendait des plats traditionnels de Vénétie, comme les casunziei, des raviolis fourrés à la betterave et à la ricotta fumée. Pour moi, c’est extrêmement important que mes clients se sentent ici chez eux, en famille. »

Certes, la salle délicieusement baroque d’Il Carpaccio, décorée par Philippe Starck et l’artiste Thomas Boog, est assez loin d’une auberge familiale, avec ses portes et son lustre central constellés de nacre, de coraux et autres bigorneaux. Mais le cadre intimiste (40 couverts, lumière tamisée), les prix raisonnables pour un étoilé (plat à partir de 30 euros) font oublier que l’on se trouve dans un palace. Surtout quand le serveur pince-sans-rire ose quelques blagues ou tend une sorte de bavoir géant pour éviter l’accident quand arrive un plat de pasta.
Coup de foudre à Milan
Si la greffe italienne fonctionne, c’est aussi parce que Alessandra et Oliver travaillent ici avec des employés et amis de longue date, alternant avec décontraction entre la langue de Massimo Bottura et celle de Paul Bocuse. Certains d’entre eux s’escrimaient déjà chez Aga, leur premier restaurant, créé en 2014 dans les Dolomites. « Nous nous sommes rencontrés avec Oliver en travaillant chez Da Vittorio, qui est une des grandes institutions de la cuisine italienne, près de Milan… Ça a été le coup de foudre : au bout de trois jours, on se mettait ensemble, sourit Alessandra. Quand je suis repartie aider mes parents à l’hôtel, il a tout laissé tomber pour me rejoindre. »

Aga naît donc là, dans le nid familial. Et les tourtereaux bouillonnent d’inventivité, troquant la tomate et le citron pour des ingrédients locaux : champignons, fruits des bois. Ils improvisent des dashi (bouillon japonais) aux herbes de montagne, des rognons de lapin ponctués de groseilles et de géranium…
Mais la décontraction des jeunes chefs cache un perfectionnisme tenace. Aga a d’ailleurs décroché une étoile en moins d’un an. Tout comme Il Carpaccio. La consigne, dans l’adresse parisienne, est de faire découvrir les produits et la cuisine italienne, sous la houlette de Da Vittorio, partenaire de l’hôtel. Sur la nappe, la foccacia maison et l’huile d’olive remplacent les traditionnels pain et beurre des restaurants gastronomiques. Les saint-jacques, ultra-fondantes, se retrouvent dans un ragoût de moules à la puttanesca (sauce à base de tomates, ail, câpres et anchois). Les paccheri (grosses pâtes en forme de tube) sont servis avec une sauce simple à la tomate et au parmesan… Mais quelle sauce ! Quant au tiramisu rehaussé de fleur de sel (une idée du pâtissier Quentin Lechat), il est monté minute devant les tables. Tout concourt à sublimer les merveilles de la gastronomie italienne.

Le couple jovial dissimulait un tandem de compétiteurs. On n’est finalement pas étonné lorsque Alessandra révèle son passé de championne régionale de ski, et qu’elle glisse en toute décontraction : « A Paris, nous voulons devenir les ambassadeurs de la cuisine italienne. »
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