
Le Havre avant/après : cinéma érotique, Eddy Mitchell… près de 90 ans d’histoire au Normandy – 76actu

Si vous pensez qu’Edith Piaf a chanté au Havre, vous avez raison. Si vous pensez que c’était au théâtre Normandy, vous vous fourrez le doigt dans l’œil. C’est au Rex, que « La Môme » s’est produite. Johnny Hallyday ? Lui non plus n’a jamais mis les pieds au 389, rue Aristide Briand.
Des rumeurs circulent autour de Coluche ou encore Frank Sinatra, qui y aurait joué après avoir raté le départ de son transatlantique, mais Christopher Vimare, président de l’association de sauvetage du patrimoine havrais, ne préfère pas l’affirmer sans preuve concrète.
Jacques Brel, Duke Ellington, Motörhead…
Ce n’est pas pour autant que le Normandy n’a pas accueilli de grandes stars ! On énumère tout de même des noms tels que Jacques Brel, Eddy Mitchell, Annie Cordy, Gilbert Bécaud, Serge Reggiani, Duke Ellington, Sidney Bechet, Trust, Téléphone ou encore Motörhead. Le tout, au cours d’une histoire unique et capricieuse.
Tout commence logiquement lorsque le théâtre, construit en moins d’un an, ouvre ses portes en 1934. Il appartient alors à Berthe Chometon, qui a revendu son restaurant à Harfleur pour se lancer dans ce nouveau projet.

Le design si particulier de cet édifice est signé Henry Daigue, le seul architecte havrais qui intègrera les équipes d’Auguste Perret lors de la reconstruction. Pour l’anecdote, il a aussi contribué à la remettre sur pied l’hôtel Le Normandy (maintenant George V) et à la restauration d’un autre, rue de Paris, qui s’appelait… Le Normandy ! Un hasard total.
Pour faire plus américain
D’ailleurs, le théâtre Normandy devait lui aussi s’intituler Le Normandy, mais la particule a finalement disparu. Son nom, il le doit à la fois à sa position géographique, puisque situé dans la rue de Normandie à l’époque, mais aussi à la mode, qui consiste alors à américaniser les noms des lieux, d’où le ‘y’. La décoration, elle, est inspirée du Paquebot Normandie.
Lorsque Berthe Chometon décède en 1949, c’est son gendre qui prend la relève, jusqu’à sa disparition, dans les années 1960. Au cours de cette décennie, la télévision s’installe comme une pièce indispensable des foyers français. Conséquence : les cinémas se vident.
« C’est comme aujourd’hui avec les plateformes de streaming, explique Christopher Vimare. Ce qui a permis au cinéma de survivre, ce sont ces films érotiques. Deux ou trois jours par semaine, des films interdits aux moins de 18 ans étaient diffusés. »
Les Inconnus, Smaïn et presque Bigard
Au moins une dizaine d’exploitants se succèdent, chacun repeignant à sa façon le théâtre de 1200 places, jusqu’en 1991. Cette année-là, le Normandy appartient à Stéphane Foulogne, l’actuel directeur du Sirius. Des humoristes de renom sont au programme, comme Les Inconnus, Michel Leeb, Chevallier et Laspalès, Les Vamps et Smaïn.
« Ca a fermé du jour au lendemain pour des raisons de sécurité, raconte Christopher Vimare. Il y avait un rideau d’amiante qui datait de 1934 pour isoler la scène et la salle en cas d’incendie. » Jean-Marie Bigard voit son spectacle annulé la veille de monter sur scène.
Ils tombent amoureux de la façade
A partir de là, plus rien. Le Normandy ferme ses portes. Il voit passer de nombreux projets, mais aucun n’aboutit. En 1999, Korap et Sylvia Spahija, qui tiennent un restaurant à Honfleur, aiment se promener au Havre entre les deux services. « Ils sont arrivés devant cette façade par hasard, en sont tombés amoureux et l’ont acheté, poursuit leur fils, Jessy. Ils se sont dit qu’ils allaient le refaire, sans se poser plus de questions que cela. »
Finalement, le couple n’a pas les fonds pour soutenir son projet et le Normandy passe au second plan. Le temps passe et Korap finit par tomber malade. « Il a vu qu’il n’aurait ni le temps, ni l’argent pour s’occuper du bâtiment, confie Jessy Spahija. Mon père acceptait de le céder à des promoteurs, à condition qu’ils conservent la façade. Elle n’est pas protégée. Mais personne n’acceptait. » Finalement, l’homme décède le 30 août 2020.

Jessy Spahija tente alors de remettre un peu d’ordre dans l’intérieur ravagé de l’ancien théâtre, miraculé des bombardements de 1944. Et puis, petit à petit, en sortant avec des sacs de gravats, il croise des Havrais qui lui rappellent leurs souvenirs. Dans le même temps, il rencontre Christopher Vimare. « Il a une vision complètement différente de la mienne, assure le nouveau propriétaire des lieux. Moi, je suis dans la rénovation, j’avais une vision technique, la possibilité, le coût, etc. Lui, il a en plus un aspect patrimonial, sur la valeur de l’endroit. »
Le Normandy cherche des partenaires
“On doit respecter scrupuleusement l’état d’origine – parce qu’on le voulait – et ça sera fait”, annonce Jessy Spahija. Et ce, grâce à la numérisation en 3D de tout l’intérieur, réalisée par Christopher Vimare, président de l’association de sauvetage du patrimoine havrais.
Au total, le projet coûte environ deux millions d’euros. Afin de le financer, Jessy Spahija recherche de l’aide auprès “de partenaires, de bienfaiteurs et d’entreprises qui acceptent de travailler à prix coûtant”. Il auto-finance les travaux et a installé une seconde issue de secours qui permettra d’”augmenter considérablement” la capacité de la salle. Au moins 600 sièges pourront donc être aménagés au total.
Concernant les places de stationnement, qui sont rares dans le quartier, Jessy Spahija envisage de mettre en circulation des navettes sur le parking du stade Océane et compte sur l’arrivée du tramway pour améliorer l’accessibilité de l’endroit.
En octobre 2020 démarrent alors les travaux pour remettre le Normandy en état de marche. En décapant les 90 ans de couches successives de la façade, les ouvriers parviennent à retrouver ses couleurs d’origine. Un retour aux sources également symbolisé par Thierry Dufour, qui va refaire la couverture de l’édifice et n’est autre que l’arrière-petit-fils de… Berthe Chometon.
Jessy Saphija espère terminer les travaux d’ici 2024, pour, n’en déplaise à Edith Piaf, que le Normandy puisse à nouveau se faire emporter par la foule.
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